Une terrasse de café d'un bled paumé de l'Est de la France.
J'aurais pas du prendre un chocolat chaud.
Après des années à tenter de transformer mes globules rouges en café moulu, je devrais savoir que je ne suis jamais autre chose qu'un zombie décapité tendance tétraplégique-manchot, le matin, jusqu'au moment du moins où je me serais injecté ma dose minimale de caféine dans les veines.
Mais dans un moment d'égarement, j'ai considéré qu'un chocolat chaud ferait plus l'affaire pour adoucir ma gorge en feu (je suis aussi hydraté qu'un grain de sable -de la partie du Sahara Occidental où ont été pratiqués les essais nucléaires de l'Armée Francaise-, un lundi matin après 4h de sommeil) qu'une énième dose de café.
... Erreur fatale, j'ai par conséquent la gorge en feu et une démarche de zombie décapité.
Les habitants de la ville ou je me trouvais ont du me prendre pour Elliot, le gentil dragon.
A tord : je ne suis pas gentil.
(...)
« Bonjour, je suis navré de vous interrompre, mais je cherche le Tribunal de Grande Instance, pourriez-vous s'il vous plait me dire où il se trouve, je vous prie ?
- Hein ? »
C'est un véritable problème : à force de faire crouler mes phrases sous les formules de politesse pompeuses, les trois quarts de mes interlocuteurs en oublient la nature exacte de mes intentions.
... Et il m'arrive d'oublier ce que je voulais demander moi même aussi, mais c'est plus du à mon coté tête en l'air.
Je suis très tête en l'air.
Comme en attestent indiscutablement les mentions réccurentes sur ce point des carnets qui ont parcemés ma scolarité.
Les profs sont méchants.
« ... Le Tribunal de Grande Instance ? C'est simple, vous continuez sur cette rue, puis vous irez à droite et vous y serez ... »
Aie. Sur le plan que je me suis imprimé (et que j'ai oublié. Je suis très têt... ah zut, déjà dit), j'aurais plutôt dit à gauche, moi.
Bon, je prends cette direction, on verra à l'extrémité de cette rue.
Je marche 10 minutes, sous un soleil de plomb rendant peu justifiés les habits sérieux dont je suis affublé, et surtout, rendant totalement périmé le déodorant dont j'ai pourtant sacrément abusé.
Entre déo de qualité moyenne à outrance et l'odeur de chocolat chaud que ma bouche doit régurgiter bien malgré moi (c'est fou comme le corps décuple les odeurs qu'il ingurgite en période de manque de sommeil !), pas à dire : j'ai intérêt à ce que ma présence soit extraordinairement brève dans cette ville.
Dès fois qu'ils y pratiquent encore la chasse au dragon ...
Ca y'est, on va encore m'accuser d'avoir une vision vilement-rétrograde des villes de moins de ... enfin, avec peu d'habitants.
... de moins de 70 ans. Pléonasme, quoi ...
J'arrive enfin au bout de la rue. Toujours pas de tribunal en vue. Comment ais-je pu m'arranger pour d'une part m'imprimer en docs de quoi lancer une armée de colporteurs dans les rues du Nord de la France prêts à jurer que ce qu'ils vendent est un bon bouquin pour lutter contre l'absence de transit intestinal, et d'autre part ne pas avoir pensé à prendre le petit plan que je m'étais laissé bien en évidence sur mon bureau ?
Je suis dubitatif. Dubitatif ET perdu.
Mais bon.
« Bonjour, je cherche le Tribunal de Grande Instance.* »
*Certaines répliques originelles ont été modifiées pour la lisibilité de ce texte.
« Hein ?* »
*Certains habitants des petites villes de l'Est mériteraient la lapidation à coups de chaussettes sales pour les inciter à rendre littéraire la retranscription de leurs élucubrations.
Une autre personne, vite.
« Bonjour, je cherche le Trib... le Palais de Justice.
- Mais vous lui tournez le dos, bondju ! »
Rester calme, à tout prix.
Une autre personne, ou je fais un Leerdamer. Malheur.
Bordel, pourquoi n'ais je pas pris un café ?
« Bonjour, je cherche le truc avec une balance sur la facade ! »
Aucun Nico n'a été (grièvement) blessé durant le tournage.
« Ah, le Tribunal ? Vous n'en êtes pas loin, marchez tout droit dans cette direction et dans 3 minutes vous le verrez ... »
Un coup d'oeil à ma montre. 9H15. Ouf, je serais même 5 minutes en avance.
« ... Par contre, je dois vous prévenir qu'il a été dynamité il y'a 2 ans, donc ses services ont été dispatchés un peu partout dans le reste de la ville ... »
Cette dernière réplique est rigoureusement authentique.
(...)
... Ce qu'il y'a de magique avec la guigne, c'est que c'est quand on croit l'avoir laissée derrière soit qu'elle revient au galop.
En ce qui me concerne, elle aurait même une certaine furieuse tendance à user du TGV.
Bah.
Ps : Pouah, ce qu'il est mal coiffé ce gamin (ci-dessous) !
... C'est bien simple, on dirait moi à 6 ans.
J'étais coiffé comme le "Garçon Kinders" à 6 ans. Une manière de me prédestiner, quoi ...