Pour ceux qui auraient pris ce blog en cours de route (ce qui serait lamentable et consternant, mais bon, loin de moi l'idée de vouloir vous juger), alors que je n'avais pas totalement bouclé ma première année en droit (disons qu'il me restait seulement 8 matières sur 11 à passer à la repêche), je me suis lancé dans une procédure aux prud'hommes contre l'employeur indélicat qui fut le mien cette année là, employeur dont la particularité était de croire qu'un employé adore faire des heures supplémentaires à tire-larigot gratuitement et rien que pour ses beaux yeux.
Fatale erreur, d'ailleurs : il n'avait même pas de beaux yeux.
Cette expérience, qui contribua à me faire comprendre toute la portée de la notion d'ulcère carabiné, dura plusieurs années, durant lesquelles j'allais me défendre seul (sans avocat, ndrl) face à une avocate qui m'inspira à chaque fois que je croisais le fer avec elle le sentiment que dans le fond, les Aliens ne sont pas si effrayants que cela, tout en sachant pertinemment que je ne partais peut-être pas dans cette aventure avec les meilleures cartes en main, mon employeur étant également juge aux prud'hommes du tribunal où je l'attaquais.
Quand je vous dit que j'ai tout de même des tendances maso.
Pour résumer rapidement la procédure, voilà ce que cela a donné :
- J'ai dans un premier temps attaqué en référé, où j'ai à peine eut le temps de me réjouir, puisque la décision qui me donnait raison étant étrangement mal argumentée (à croire qu'une main innocente avait fait sauter le passage expliquant pourquoi on me donnait raison), j'allais me faire pourfendre par la Cour de Cassation avant d'avoir pu digérer convenablement la bouteille de champagne que j'avais imprudemment débouchonnée.
- Dans un second temps, nullement décontenancé par l'étrange coup du sort que m'avait réservé le référé, j'allais me lancer donc dans une procédure au fond. Ayant reçu un courrier de l'avocate m'informant qu'elle demanderait à l'audience un report, je jugeais utile de ne pas me déplacer : le temps de me raviser, je n'avais plus que mes yeux pour pleurer et mes mains pour signer une nouvelle réinscription du dossier lorsque je constatais que l'avocate avait profité de cette absence pour faire annuler la procédure.
Lorsque enfin nous plaidions (1 an plus tard, l'avocate prétextant à chaque fois un nouveau report), les juges allaient décider de ne rien décider et de s'en remettre à un juge départiteur, c'est à dire un juge professionnel (du TGI, ndrl) qui allait s'avérer être la mère de l'un de mes meilleurs amis du collège.
J'ai eu beaucoup de meilleurs amis au collège.
Juste le temps de me rendre compte qu'ils ne l'étaient pas tant que ça, en fait.
Par conséquent, et cette dernière me reconnaissant ce qui aurait tendance à démontrer que je n'ai pas vieilli tant que ça mais passons, la juge allait se déclarer incompétente, et l'affaire était renvoyée devant les prud'hommes de Carcassonne. Ces derniers allaient considérer que n'ayant pas transmis la copie de mes pièces à la partie adverse, et bien que la procédure aux prud'hommes soit orale, le respect du contradictoire n'avait pas été respecté, donc ma procédure était abusive, donc bim : c'est moi qui me retrouvait condamné à verser des dommages intérêts à mon ex employeur.
Moins de 5 secondes après avoir lu cette décision, et nonobstant mon cœur se la jouant soudainement « Alerte à Malitoulouse », j'avais fait appel de cette décision que les opposants de Dopey auraient probablement jugé d'inique.
C'est ainsi que 6 mois plus tard (ou plus, mais nous n'en étions plus à quelques années près), l'affaire allait repasser devant la Cour d'Appel de Montpellier. Pendant que ma brune (déjà !) se trémoussait sur son banc en se demandant si elle pourrait profiter du statut de veuve sans que nous ayons été mariés, l'avocate allait sortir la même argumentation assez consternante que celle que j'avais entendu 4 ans durant, m'opposant des attestations bidons des employés (notamment d'une fille qui avait été mon amie et que j'avais fait rentrer dans le boulot pour lui rendre service. Les photos de son mariage avec le fils du patron sont sur Facebook ...), et des roulements de yeux à faire peur à un public pourtant averti.
Cela jusqu'à ce qu'un juge lui fasse placidement remarquer que « mais c'est totalement illégal » de payer des heures supplémentaires sous la forme de primes masquées.
... Je me suis rarement senti aussi puissant qu'en la regardant à ce moment là, ces quelques secondes où les bras lui en sont tombés, et la bouche par la même occasion.
L'autre fois, c'était quand j'avais volé un « Tigrou géant » dans un cinéma du centre ville.
C'est dire.
(...)
Tout cela pour dire, aux amateurs qu'une aventure aux prud'hommes tenterait :
- Oui, il est possible de s'auto-représenter aux prud'hommes. Dans le fond, ce n'est pas si difficile, et les affaires aux prud'hommes n'étant généralement pas les plus rémunératrices pour des avocats, vous aurez très probablement plus de conviction que l'un d'eux pour expliquer les raisons de vos griefs. Ceci étant, je recommande de ne pas s'auto-représenter lorsque le conflit porte sur plus de 3 années de travail : un avocat saura plus surement trouver des subtilités dans ce type de cas de figure pour augmenter les dommages-intérêts qui pourraient vous êtres versés.
- Non, n'espérez aucun traitement de faveur parce que justement, vous ne seriez pas avocat. Il vous sera demandé de fonder vos demandes, et lorsqu'un juge dit « fonder », cela veut dire se baser sur des articles du Code Civil, du Code du Travail, etc, et surtout, il vous faudra prouver vos dires, cela de façon cohérente et non exagérée : le Zola n'a jamais ému un conseiller aux prud'hommes.
Ou du moins ils ne sont pas nombreux.
- « La procédure est orale », soit. Mais cela veut dire beaucoup de choses : dans un premier temps, qu'il vous faudra tout de même rassembler un certain nombre de preuves écrites, et qu'elles devront constituer un dossier que vous devrez transmettre (la copie, pas les originaux malheureux !) à l'avocat de votre ex employeur, en plus de conclusions qui résumeront vos griefs. Dans un second temps, procédure orale signifie : c'est à l'audience, lorsque vous prendrez la parole, que se jouera votre dossier. Aux premiers mots que vous exprimerez, le juge se fera une idée sur votre affaire, et ira piocher ensuite dans les dossiers les éléments qui étayeront son idée. Donc ne croyez pas un fugace instant que le juge ira regarder à la loupe les papiers soigneusement annotés de votre dossier : si vous vous êtes royalement vautrés à l'audience, vous pouvez d'ores et déjà préparer votre déclaration d'Appel.
- Non, on ne dit pas « Votre honneur ». Arrêtez les séries américaines, ne levez pas la main droite en disant je le jure, et optez plutôt pour « Monsieur/Madame le président/la présidente » : on est pas en République pour rien.
- Oui, rassemblez toutes les preuves que vous pouvez. Vous avez le droit de faire des copies dès lors qu'elles peuvent servir votre dossier, et elles seront drôlement utiles. Concernant vos horaires de travail, notez les soigneusement dans un agenda, celui-ci fera une preuve tout à fait valable, même si votre ex employeur le conteste et produit une attestation de votre ancienne amie du lycée jurant que contrairement à ce que vous dites, le dimanche à 17h15, vous n'étiez pas encore arrivé.
Dire que je t'ai aidée, toi ...
- Il est également possible de s'auto-représenter devant la Cour d'Appel, ce sera devant la chambre sociale de cette dernière.
- Les juges aux prud'hommes n'en sont pas réellement : c'est pour cela qu'on les nomme « conseillers aux prud'hommes », ce ne sont pas des « professionnels » de la justice, mais de simples élus aux élections prud'hommales (celles là même pour lesquelles vous devez voter d'ici la fin de l'année en totale absence de connaissance de cause ...). Ces juges se réunissent à l'audience en nombre paire, un ou deux représentant les conseillers employeurs, un ou deux autres représentant les conseillers salariés. Lorsque les juges ne se mettent pas d'accord, on ne passe pas directement à l'Appel, mais à la départition : cela veut dire concrêtement que aux juges qui n'ont pas réussi à se décider, se greffe un magistrat professionnel (le plus souvent du Tribunal de Grande Instance du ressort), qui fera pencher la balance d'un coté ou d'un autre.
- D'autres question ?