« Désolé monsieur, mais vous n'allez pas pouvoir rentrer avec votre bouteille d'eau dans le Tribunal ... »
Le lundi matin à 9h du mat, j'ai beau ne pas être réveillé et être entouré de Japonais qui croient utiles de photographier du policier dans l'exercice de ses fonctions, je me rends tout de même compte lorsque l'on me fait une remarque d'une futilité qui ne le cède qu'à l'absurde.
« Mais … pourquoi ?
- Elle pourrait vous servir de projectile.
- … Si j'ai bien compris, je peux rentrer avec mon ordinateur portable qui posé sur un levier suffirait à projeter en orbite de Pluton une rame entière de TGV et qui pourrait assené dans la nuque d'un avocat à le rendre vaguement modeste, mais la bouteille d'eau évian, ce n'est pas possible.
- Euh, non. Ceci étant, si vous comptez assommer un avocat, je me permets de vous avertir charitablement que la période de la chasse n'est pas encore ouverte.
- Bien vu. Dommage ... »
Sur ces entrefaites et après ce dialogue pas totalement fictif, je prenais la direction du café situé sous les marches du Palais, non sans m'être demandé, durant les quelques secondes nécessaires pour traverser la cour très exposée ce jour là à un petit vent de type sibérien, si les scénaristes du jour d'après n'avaient pas fait le même chemin lorsqu'ils avaient imaginé leur concept de vortex à température très négative.
Faut avouer que oser la petite chemise sous une veste légère un 8 Décembre à Paris, c'était tout de même très optimiste.
Je viens de comprendre pourquoi cela fait 4 semaines que j'ai une toux de leucémique du poumon.
Oui je sais, ça n'existe pas, c'était pour faire imagé.
Après avoir savouré un petit chocolat chaud tout en relisant mes notes et en écoutant les avocats autour de moi s'échanger des informations qui auraient pu me permettre de dévaliser ce jour là la bourse de Paris, si du moins je n'avais pas par moment une mémoire de poulpe ayant subi une ablation du cerveau, je prenais la direction de la 17ème chambre.
Oui, 17ème chambre, parce qu'il y'en a beaucoup.
Pour ce faire une idée, le TGI de Paris ressemble beaucoup à une boite de nuit qui proposerait plusieurs salles à thème.
N'empêche que perso, je regrette de n'y avoir jamais trouvé la chambre 80.
Mais passons.
La 17ème chambre est spécialisée dans les délits de presse, et vu que la presse a fini par comprendre que les salariés à leur boulot ne peuvent pas lire discrètement leurs journaux en papier qui font trop de bruit (inventer le papier insonorisé, c'était si compliqué ?) et publie par conséquents ces canards de plus en plus souvent sur le net (ce qui permet donc aux salariés d'être vachement crédibles quand il prennent des allures très sérieuses à scruter ainsi leur écran de pc), la 17ème a étendu assez largement son champs d'intervention à tout ce qui concerne de près ou de loin internet.
Et c'est chouette, parce que j'adore l'un de ses juges, et c'est justement celui devant lequel je passe ce matin.
C'est bien simple, ce juge est un peu le prof fétiche que l'on a tous eu un jour ou l'autre au Collège. Genre, celui vaguement sévère mais sympa, qui trouvait un bon mot pour faire rire la classe lorsque l'on tentait de le prendre pour un couillon lorsque l'on tendait fébrilement un mot d'excuse de l'infirmerie monstrueusement antidaté, en tout cas largement antérieur à l'heure du contrôle qu'on venait de sécher.
Monsieur Galaup, vous restez mon dieu et maître.
Non, Galaup, c'était le prof de techno du collège, pas le juge. Bref.
Je rentre donc dans la salle d'audience. Très grande et pas foncièrement moche si on aime les boiseries du 18ème siècle mais ce n'est pas mon cas donc bof, le moindre pas y raisonne violemment d'autant que je n'ai toujours pas trouvé de solutions pour concilier les notions de chaussures de villes et de chaussures qui ne font pas le bruit des éperons d'un cowboy martelant un sol en fibres de zinc et de verre, et qu'elle est presque vide, occupée par seulement deux avocates qui s'affairent.
Je subodore qu'elles sont les méchantes-méchantes qui attaquent ma gentille entreprise.
Je les déteste instantanément, donc.
Oui, j'ai un incroyable don pour détester les gens à la demande.
Tout en m'installant à mon tour, je les observe en train de déballer leurs plaidoiries, et voyant apparaître sur l'un des dossiers déballés le nom de l'actrice qui n'assume plus d'avoir dans sa jeunesse présenté d'étonnantes dispositions pour le nu intégral, et qui est donc la raison pour laquelle je suis au tribunal ce lundi matin, je me décide à aller tout de même dire bonjour aux avocates.
… Et puis, ça me permettra éventuellement de regarder du coin de l'œil si y'aurait pas une pièce ou l'autre dans leur dossier dont je n'aurais pas connaissance et sur laquelle je pourrais vite préparer une défense.
Oui, j'ai aussi le bonjour très intéressé.
« Bonjour, vous venez pour Edith Piaf ? »
Certains noms ont été modifié pour les besoins du récit.
« Oui, vous êtes l'avocat d'Edith ?
- Ah non, ce n'est pas vous ?
- Ben non, nous représentons la société attaquée par Edith.
- Ah mais d'accord, Edith a attaquée plusieurs sociétés ! C'est laquelle la vôtre ? Ah ah c'est drôle tout de même. Et c'est quoi votre petit nom ? »
J'ai un don incroyable pour faire ami ami avec les gens que je détestais virtuellement quelques secondes plus tôt.
Et ok, je n'ai pas demandé son petit nom à l'avocate.
C'était pour imager la scène, quoi. Com d'hab.
… Je le précise, on se fait défenestrer par une brune pour beaucoup moins que cela.
Les portes de la salle s'ouvrent bruyamment, pour laisser le passage à l'avocat qui a jugé utile d'attaquer la moitié de la France pour une banale histoire de photos même pas ôlé ôlé.
Pas que je parle en connaissance de cause, mais tout de même.
J'ai beau chercher, je ne vois pas d'autre moyen de décrire l'impression qui fut la mienne sur le moment, autre que de dire que j'eus l'impression de voir débarquer l'intégralité du cabinet d'Ally McBeal : un avocat suivi de ses acolytes (avocats ? Potentiellement si les muets peuvent l'être, je ne les ai pas entendu de la matinée), tirant en valises dégorgeant de dossiers de quoi faire nourrir des volontés suicidaires au plus papivore des bureaucrates.
Le juge rentre à son tour dans la salle.
Il jette un regard surpris sur l'Everest de dossiers que déballe McBeal (certains noms ont été modifiés pour … etc.).
Je relis nerveusement mes dernières notes.
… La vache, j'ai la même peur qui me broie les tripes et me démolit les jambes que lorsque en amphi, les sujets d'examen commençaient à être distribués ...