J’ai toujours détesté le sport.
Au collège, ces charmantes heures que l’on nommait EPS et qui auraient tout aussi pu être renommées cours de Battle Royale, étaient mon enfer. En EPS, nous nous retrouvions effectivement, ex charmants bambins et nouvellement ados boutonneux complexés et égocentriques, en concurrence sévère avec le grand con dont le patrimoine génétique lui avait offert un début de barbe naissante et quelques centimètres de hauteur de plus, et qui avait fortement envie de vous péter la gueule juste pour le plaisir de paraitre un peu plus viril devant les bécasses groupies qui n’en pouvaient plus de se sentir pousser un vague 86A sur le torse.
Oui, je garde un souvenir plutôt désagréable du collège. Ca s’est vu ?
J’ai bien tenté arrivé au lycée d’oublier -et de faire oublier- cette naturelle antipathie que j’éprouvais pour le sport, et prenant mon courage à deux mains, et également des affaires de sport pour ne plus me faire dispenser comme j’en avais pris l’habitude en arrivant intentionnellement en jean aux heures d’EPS, j’avais tenté un jour l’improbable, en me proposant devant ma classe de seconde pour faire la démonstration du saut trampoline – passage au dessus du chevalet – atterrissage en douceur sur le tapis que le prof avait requis.
... Et comme de juste, ma démonstration c’était arrêtée dans un fou rire général de la classe lorsque après avoir pris mon élan, mon premier saut m’avait fait m’écraser grotesquement entre le trampoline et le chevalet, ce qui compliquait forcément la suite de la démonstration, du coup.
Et comme de juste, je suis revenu en jean à tous les cours de sport du lycée ensuite.
Y’a des fous-rires généraux qui blessent, faut dire.
(…)
Il y’a 2 ans de cela, et alors que mon hygiène alimentaire consistant à refuser obstinément de manger ce qui appartient à la classe d’un « légume » (sérieux, le type du marketing qui a inventé le concept de légume était une brêle) laissait présager que j’explose sous peu le seuil des 80kg et par conséquent de l’obésité pour le nain torturé de 1m73 que je suis, je tombais nez à nez avec une vidéo dans laquelle un de mes homologues (un nain torturé par très grand, faut suivre) avait fait l’expérience de ce photographier tous les jours pendant un an du moment où il venait de commencer la musculation.
Concept sportif qui pour moi n’avait jusqu’alors rien à envier au concept d’arrachage de dent sans anesthésie avec des ciseaux rouillés.
Etant de nature rationnelle ET impressionnable, je me mis à rêver devant cette vidéo qu’un autre futur que celui qui m’était promis (dans lequel je deviendrais le .gif animé d’un gros se cassant la figure en essayant d’attraper au sol un paquet de doritos périmés) devenait tout à coup et subitement envisageable.
Et c’est ainsi que dare-dare, je prenais la direction de la salle de sport.
Pas en jean.
(…)
2 ans plus tard.
C'est-à-dire il y’a 2/3 semaines, on va pas chipoter.
J’étais à Paris pour raisons professionnelles et amicales, et maugréait du coté d’Opéra à la recherche de mes meilleurs amis, que j’ai connus au Lycée, avec qui nous devions aller voir un film, notre choix oscillant alors entre « jeune et jolie » (l’histoire banale d’une fille très bourgeoise qui joue la pute. Mais officiellement) et « the conjuring », un film d’horreur qui ne me fait pas du tout réveiller une nuit sur 3 la sueur au front.
Je savais bien qu’on aurait dû aller voir « jeune et jolie ».
Arrivant enfin à leur faire décrocher au téléphone quand j’étais à peine sur le point de me jeter sous un bus (je suis de nature particulièrement pas patiente quand je tombe sur le répondeur 10 fois de suite des personnes que je dois retrouver. Le répondeur, c’est un peu pour moi la torture de la goutte d’eau), mes potes m’enjoignaient de les retrouver dans une salle de jeux d’arcade.
Oui, c’était une soirée très philosophique, dans le concept.
Arrivant sur les lieux, je les voyais alors de loin en train de tabasser le punchingball de l’une de ces bornes qui vous narrent ensuite de manière assez totalitaire le score que la puissance de vos avants-bras a justifié.
J’ai souri.
Enfin, ces 2 foutues années à suer comme un bœuf rhumatisant dans un quelconque YMCA (nom des salles de musculation du Québec et des USA, ça fait pas sérieux quand même) allaient être justifiées par une revanche homérique sur le passé et mon désastreux saut sur trampoline qui avaient engendré ma réputation de « peu sportif », un brin vexante quand même.
Mes muscles flambant neuf garantis 1 an pièces et main d’œuvre) et mon ventre affiné car dégagé des restes d’hectolitres de bière ingurgités durant mes années Fac, je m’avançais jusqu’à eux, tel Russel Crowe face à l’empereur avec un stade criant « Maximus ! Maximus ! » dans la tête.
Il faudra quand même que je songe à jour à soigner cette petite schizophrénie sous-jacente.
Je les ai à peine entendus lorsqu’ils m’ont proposé d’essayer la machine à mon tour. Cela faisait déjà 30 secondes que ma tête n’était plus qu’à vengeance et rage de détruire, que tel un Attila moderne, j’avais scellé le sort de la malheureuse machine que j’allais démolir sous les houras craintifs de mes amis. Bref, le carnage n’était qu’une question de seconde.
3 ou 4 badauds jettent un coup d’œil à la scène, et s’interrogent sur la performance à venir du nouvel entrant.
Je savoure ces dernières secondes d’enterrement de vie de Nico-mauviette, songeant aux autographes qu’il me faudra signer, la tonalité de mon discours de vainqueur, bref, ma tête met la main aux derniers détails.
Et je m’avance, enfin, telle l’armée écossaise de Braveheart se mettant doucement en branle et passant de marche à marche rapide à course, toujours plus pressée et excitée d’aller en découdre avec l’armée d’anglais, symbolisée ici par ce con de punchingball, mais on fait avec ce qu’on a.
Tel un taureau dans la force de l’âge, je me rue sur mon « Torero ».
… et le rate magistralement, mon élan un peu trop enthousiaste m’envoyant m’écraser grotesquement 1 mètre plus loin contre la borne d’arcade d’à côté qui n’avait rien demandé.
(…)
Cela m’a pris une bonne minute et demie avant d’être capable de me retourner pour affronter le fou rire du public et de mes amis.
Encore un long, long moment de solitude.
Comme j’en avais plus éprouvé depuis le Lycée et un trampoline raté, tiens.