En France, nous entretenons un rapport avec la justice proche de celui qu'entretiennent les hommes avec les sites pornographiques : on adore, mais on se damnerait bien avant de le reconnaître.
... Surtout si la petite amie tend l'oreille lorsque la conversation s'oriente sur ce délicat sujet.
Pourquoi cette comparaison si foireuse que Eolas, en eut-il vent, songerait à me bannir à vie de son inestimable blog ? Parce que la moindre discussion avec le premier quidam venu vous amènera à vous rendre compte que le droit occupe incroyablement les discussions, même les plus navrantes.
Il est particulièrement éprouvant d'avoir les oreilles qui trainent lorsque l'on prend un café en terrasse.
Dans les discussions, combien de fois avez vous pu entendre cette pitoyable affirmation assénée avec autant d'autorité qu'un uppercut décroché à un arbitre par une star du Catch, « non mais ça on doit pas avoir le droit ... » ?
Tiens, j'en ai la bave aux lèvres et des convulsions d'épileptiques rien que de la citer, c'est dire.
Et d'ailleurs, pour répondre à cette première affirmation consternante : Il ne faut jamais se demander si « on a le droit de faire quelque chose », mais au contraire, « qu'est ce que je risque réellement si je fais cette chose, de la part de qui, dans combien de temps ? » . Ah mais.
Bien que la France consacre à sa justice un budget (35ème au niveau du Continent Européen, si si) qui ferait hurler de rire la Corée du Nord, et que ses prisons soient régulièrement dénoncées comme les pires d'Europe, les Français se passionnent donc pour le droit.
Et pourtant, ils en ont une peur bleue.
... Peut-être justement parce que bien que le chaland lambda tienne souvent le raisonnement « après tout, si un type est en prison, c'est bien qu'il l'a cherché », ce dernier chaland n'aimerait pas aller vérifier de plus près en tant qu'invité d'honneur que oui, la prison Française est une horreur sans nom qui ferait hurler d'épouvante le réalisateur de Cannibal Holocaust.
J'en ai la nausée rien que de citer le titre de cette abomination de film, tiens.
Voici quelques infos qui me semblent particulièrement utiles pour ces angoissés de l'assignation qui songent à s'ouvrir les veines dès qu'ils reçoivent un courrier de menaces de poursuites judiciaires.
Premièrement, beaucoup des personnes qui menacent de porter plainte, comme c'est par exemple fortuit le cas de Orange envers Free, ne passent en fait jamais à l'acte. Une myriade de dictateurs en herbe passent leur temps à pousser des jérémiades et menacer la terre entière de poursuites extravagantes, mais une fois les micros de journalistes pas très regardant retirés, les assignations mettent un temps étonnant à arriver (certains les attendent toujours X années après les faits ...), et quand elles arrivent, il est même courant que l'affaire n'aille pas jusqu'au procès, le demandeur ayant la faculté de retirer sa plainte sans dommage.
... C'est par exemple le cas d'un président de la République dans une histoire de Sms, qui une fois que les médias avaient relayé sa plainte pour diffamation, a pu tranquillement retirer sa plainte, le défendeur ayant fait des vagues excuses sans pour autant renier l'info passée.
Ensuite, assignation ne vaut pas condamnation, loin s'en faut. S'il y'a de quoi paniquer lorsque l'on lit les conclusions de la partie adverse, qui si elles étaient suivies par le juge conduirait le défendeur à devoir payer à son poursuivant de quoi financer la reconstruction du World Trade Center, dans les faits, le juge rabaisse ces demandes à des sommes infiniment plus raisonnables, en prenant en compte -en cas de condamnation- les revenus de la partie qui succombe, comprenez, qui perd le procès.
Ainsi, quand un comique qui a fait de sa profession de ridiculiser des gens sur la voie publique attaque un site comme Dailymotion, il réclame plusieurs millions d'euros, que le juge se fera un plaisir de ramener à une somme avoisinant quelques centaines d'euros, si condamnation il y'a, évidemment.
... Intéressez vous à l'actualité juridique du droit sur internet, et vous vous rendrez compte que sont les comiques les plus légers avec le droit à l'image qui sont les plus prompts à saisir tous les tribunaux de France et de Navarre.
Tiens, une autre légende probablement entretenue par les mauvaises séries, américaines ou françaises : une bonne partie de la population semble persuadée que lorsqu'une personne perd un procès, elle doit payer ce à quoi elle a été condamnée, son avocat ET l'avocat de la partie adverse triomphante.
C'est monstrueusement inexact, à tout le moins, particulièrement incomplet.
Lorsque l'on perd un procès, le juge indique les motifs de cette défaite, et chiffre les dédommagements pour chaque motifs, à condition que l'avocat adverse en ait fait la demande et surtout, il n'attribue jamais plus que ce qu'à réclamé l'avocat pour le motif : c'est aussi pour cette raison que les avocats annoncent des demandes de dédommagement astronomiques, ils laissent ainsi le choix au juge de fixer son prix à l'intérieur de la fourchette qu'ils lui ont proposé.
... Ce qui n'empêche pas des journalistes un brin niais de titrer « Société X se voit réclamer 1 trilliard en Justice par société Y ! ».
Concernant les frais d'avocat, ils sont visés par l'un de ces motifs énoncés par le juge, c'est à dire que le juge va estimer quelle somme aurait été raisonnable pour assurer sa défense, et dire que la partie triomphante ne pourra réclamer plus que cette somme à la partie adverse sur ce point (dans les décisions de justice, il s'agit le plus souvent du motif terminant par « sur le fondement de l'article 700 du (N)CPC »).
En fait, ce point est réellement important puisqu'il signifie qu'il ne sert à rien de se lancer dans une course aux armements en avocats et prendre les 25 meilleurs (j'ai failli dire les plus murs, sic) du moment pour s'assurer une victoire qui serait en plus financée par le perdant : le gagnant devra assumer les honoraires de ces 25 super-avocats, qui lui couteront beaucoup plus cher que ce qu'il aura gagné au perdant.
Une victoire à la Pyrrhus, en somme.
Tout cela pour dire donc que non, il ne faut pas songer à chercher sur Ebay des pilules de Cyanure lorsque l'on reçoit une assignation, rien n'est grave et même que si tout se passe bien, la partie adverse sera ridiculisée par la décision de justice répondant par la négative à ses demandes et la condamnant à vous verser des indemnités, décision de justice que vous pourrez même vous payer le luxe sous certaines conditions de publier sur internet histoire de bien enfoncer le couteau dans la plaie ouverte affectée de gangrène gazeuse.
... Ca y'est, je repense à Cannibal Holocaust.
Berk.