Je ne cesserais donc jamais d’être naïf …
Je me retrouvais avec un type de 68 ans mais qui n’avait rien d’un révolutionnaire . Un vieux qui de toute évidence avait baissé les bras , et s’était habitué a la soupe servie par l’hôpital , en attendant l’hospice , sans doute .
Je passais outre et décidais de partir d’un bon pied en étant correct sinon sympathique avec le bonhomme . Après tout , j’allais être sous le coup de l’anesthésie pendant au moins 24h , ce type la pourrait m’étouffer pendant ce laps de temps dans mon sommeil , si bien sur le médecin ne l’avait pas fait avant lui …
Commençait alors le ballet des infirmières , toutes plus jeunes et jolies les unes que les autres. A regretter de ne pas être malade plus souvent , vraiment . Seul inconvénient , je n’avais pas le droit de fumer , et ce ballet semblait bien être une ruse pour vérifier que je ne contrevienne pas a cet ordre direct . Chose absurde d’ailleurs , parce que dans le même ordre d’idée , j’étais censé me reposer et ne pas boire la veille , ce que pour être franc je n’avais pas totalement exécuté a la lettre … alors une clope ou deux ne pouvait pas me faire plus de mal , non ?
D’un coup , je me retrouvais rattrapé par la fatigue et m’effondrais plus vite qu’il n’en faut a un Jean Pierre Chevènement donné gagnant a une présidentielle …
Je me réveillais a peine alors que l’on m’anesthésiait (je surveillais un peu au cas ou , quand même …) , et l’impression qu’il m’en reste encore aujourd’hui est d’avoir cligné des yeux , de les avoir rouvert dans l’instant pour constater que l’opération était déjà pliée et qu’un pauvre interne de garde était mort de rire devant ma réaction ("Déjà ???") .
J’ai été un brin KO 24h . Reprenant ensuite peu ou prou mes esprits , j’allais enfin pouvoir commencer a saouler tout le monde . Que je ne sois pas venu pour rien , après tout …
Le vieux a commencé a me raser assez rapidement . Je suis désolé , mais quand on est bloqué dans une clinique avec une perfusion dans le bras et la gueule en vrac , être condamné a regarder Pascal Sevran un Dimanche midi est une torture que même les Américains ne sauraient infliger aux prisonniers de Guantanamo . Le salop , il a osé !
Si encore ce n’était que ça ! Lorsque mes parents sont venus , le vieux crade n’a rien trouvé de mieux que se mettre a uriner dans ce que j’appelle un objet sorti du moyen age et que les gens -a part moi- appellent " le bassin " . Parler a mes proches dans ce contexte sans envie d’envoyer une grenade rouler a tout hasard de l’autre coté de la pièce s’avéra impossible …
Les infirmières semblant êtres dotées d’un odorat de mutant de mauvais dessin animé japonais , je devais me décider a descendre en bas de la clinique pour pouvoir me fumer ma première cigarette post opératoire . Pas franchement une mince affaire avec 500g de morphine dans le sang , une perfusion dans une main et l’autre bras en charpie ! Ne vous imaginez pas la scène , vous n’y survivriez pas …
Histoire de rajouter au ridicule , je me suis senti très étrangement pas trop a mon aise après ma cigarette (peut-être est ce la nourriture de la clinique qui était en cause ?) , et je suis tombé dans les pommes en plein hall du RDC . Les ambulanciers m’ont remonté en annoncant joyeusement aux infirmières (qui l’étaient devenues beaucoup moins -joyeuses-, Ndrl) " on vous ramène un évadé " . Difficile d’avoir l’air plus con … Enfin si , j’aurais pu m’appeler Pascal Sevran .
Le lundi soir , en pleine possession de mes moyens a nouveau (cad ¼ de ceux des gens " normaux ") , je ne tenais absolument plus en place , et décidais de bien le montrer , histoire de valider plus rapidement mon ticket de sortie . Je pense a posteriori que je m’en faisais pour pas grand-chose , ce bon avait du être préparé quelques minutes après mon arrivée …
J’ai oublié de préciser que l’ancêtre me servant de voisin , ayant occupé la pièce avant mon arrivée , avait hérité de la télécommande qu’il avait par ailleurs "louée" . Je décidais de la réquisitionner de force pour me regarder gentiment un film . Etonnant même , je décidais de " tenter de ne pas importuner " mon voisin en tournant la télé dans ma direction et coupant le son . C’était pas un beau geste ça ?
Le raleur dut en décider autrement . S’en suit le dialogue suivant …
" J’ai sommeil … groumph !
- écoutez monsieur , des que film est terminé , j’éteins , cela vous va ?
- groumph ! "
J’ai pris ça , naïvement comme toujours , pour un oui .
5 minutes plus tard , débarque un infirmier .
" Vous m’avez sonné Monsieur Groumph ? (certains noms ont été modifiés pour les besoins du récit)
- Le p’tit jeune m’empêche de dormir ! "
Et la , j’ai explosé . Je ne sais pas si c’est la morphine qui m’a déchaîné , mais j’ai été drôlement inspiré …
"Putain ! Mais c’est pas vrai ? Mais qui m’a foutu un vieux con pareil ! Je vous ai foutu une paix ROYALE , j’ai supporté SANS RIEN DIRE toutes vos foutues manies de vieil emmerdeur sans broncher , j’ai regardé vos programmes de merde sans vous faire remarquer a quel point votre Sevran pitoyable me saoulait , j’ai été poli , gentil , et vous , c’est comme ça que vous me remerciez ? Mais quand ? Quand ? Quand la prochaine canicule ? Et quand le prochain débat sur l’euthanasie , bordel ???"
... J’étais en colère …
J’occupais 5 minutes plus tard une autre chambre a moi tout seul , ou j’ai pu voir la fin de mon film . Avec le son .
Le lendemain , il fallait cependant que je reprenne place dans la chambre du vieux a 6h du matin , l’infirmier ne m’ayant offert qu’une dérogation pour la nuit .
Alors histoire d’être sur que le vieux comprenne sa douleur , j’ai joué a jour/nuit pendant les 2 heures qui ont suivi . Toutes les 10 secondes pour être précis .
Il était un peu livide quand quelques heures plus tard j’obtenais le droit de rentrer chez moi … prématurément .