25 mars 2007
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J’ai toujours aimé les gares .
Il y’a dans une gare , une ambiance toujours assez particulière , une impression d’anachronisme constant auquel se mélange avec une certaine facilité mon éternelle nostalgie pour les ambiances rétro . Lorsque je flâne sur le quai , j’imagine , rêve debout en évitant toutefois de heurter plus d’un passager à la seconde (vaste utopie) , à ces millions de personnes qui ont débarqué de leur train , à leur histoire , aux soulagements qu’ils allaient éprouver , aux ennuis sans fond qu’ils allaient tenter de résoudre dans une folle course contre la montre …
J’avoue extrapoler : tout le monde n’accumule pas les emmerdes comme je le fais avec bonheur .
Lorsque ce matin là , je passais quelques minutes à observer son train partir , train qui quoique arborant une apparente forme de modernité , ne sut s’empêcher dans son accélération de provoquer sur un aiguillage le même grincement hideux qui m’aurait rendu coupable d’assassinat de prof ne sachant pas manipuler une bête craie , j’étais pris d’un lourd sentiment de solitude , et , quoiqu’ils puissent légitimement douter , au vu de l’heure effroyablement matinale qu’il ne s’agisse pas d’un martien vêtu de ma peau qui débarque et non leur affectueux Nico , je décidais de rendre visite à mes petits parents .
Lorsque l’on prête une oreille discrète aux actualités , et que l’on a passé les informations routinières du type 100 irakiens en moins par ici , une compagnie pétrolière a (sur)multiplié ses bénéfices par là , on peut se rendre compte dans des petits reportages tout ce qu’il y’a de plus anodins qu’une foule de chercheurs désœuvrés est payée à expérimenter , analyser les données les plus crétines (« c’est une information qui vise le prix Nobel : se frotter avec sa serviette trop fort à la sortie de la douche peut déclencher un cancer . Un reportage de … ») lorsque personne n’a encore aujourd’hui songer à élucider cette question éprouvante :
Pourquoi le simple fait de passer la porte de chez ses parents suffit a vous faire perdre instantanément 15 ans ?
… Freud ? Qui est-ce ?
C’est un fait . Je peux avoir du prendre des décisions terribles durant les deux dernières semaines . J’ai pu me comporter en adulte (si si !) , subir des dîners mondains , faire l’amour et pas forcément que dans un lit , envisager de me passer sous un bus histoire de voir si mon cerveau tourmenté arrêterait au moins 5 secondes de me traumatiser , bref , je peux avoir une vie solide et bien construite , mais , que je passe la porte de chez mes parents , et je redeviens instantanément le Petit Nico qui suscite l’hilarité de tous lorsqu’il déblatère innocemment sur un film de caméscope que j’ai omis de brûler , malencontreusement .
Je finirais bien par tous les avoir .
Ce phénomène s’est d’autant plus amplifié que depuis que je suis parti de chez mes parents , je ne m’y pointe plus que très rarement , ce qui contrairement à ce que les mauvaises langues veulent bien dire , n’a rien à voir au fait qu’il me suffise d’un voyage par semaine pour pouvoir utiliser à bon escient la bonne volonté de ma douce petite maman et de sa machine à laver (sic) , mais tout simplement que cette cure de jouvence que j’y fais , si elle est atrocement agréable , ne rend que plus désagréable le retour à la réalité , à savoir le moment ou je repasse la porte de chez eux dans l’autre sens , et que je redeviens « grand » Nico (si mon mètre 74 ose ainsi s’exprimer) , confronté à sa vie et ses angoisses .
Tandis que si je reste dans le monde hostile tout le temps , je n’ai pas à accuser ce type de contrecoup .
CQFD .
Quand j’arrive à la porte du bas , je glisse une première clé tout en me remémorant toutes les fois ou je le faisais avec une certaine appréhension . Le carnet de notes est il arrivé ? Et pourrais l’intercepter , ou papa a t’il déjà mis la main dessus et s’apprête a faire de même sur moi sitôt que j’aurais passé la porte ? Vais je coucher avec la fille qui m’accompagne , et surtout , comment éviter demain que Marine n’ouvre la porte de ma chambre un peu trop brusquement pour l’empêcher de tomber nez à nez (enfin question de point de vue) avec les fesses de ma copine ?
Quand je vous dit que je me pose toujours plein de questions saugrenues .
La montée de l’escalier ? Le temps pour moi de me souvenir en souriant des folles courses dont il a été le témoin , lorsque celle qui m’accompagnait , tout à coup enjambait les marches avec une célérité démente , et que je faisais exprès de ne pas la rattraper et donc perdre , car dans les cas inverse , une soupe à la grimace de l’autre allait me gâcher au moins le début de la soirée …
J’ai aujourd’hui , à force de perpétuer ce souvenir , acquis une réputation démente de type montant un escalier plus vite que l’éclair .
Ca y’est Alexandra , tu sais maintenant pourquoi je montais ton escalier en moins de 19 secondes .
Il y’a quelques semaines de cela , j’avais passé vaillamment ses deux étapes Flashback obligatoires , et j’arrivais enfin à l’appartement de mes parents . Je poussais doucement la porte , me doutant que l’heure très matinale de ma visite pouvait faire que je sois le premier de la famille à être debout .
Une fois n’est pas coutume .
Pas un bruit . Une obscurité totale dans l’appartement , la même impression qu’éprouvait l’équipe de secours accourant à l’aide de tintin et de ses joyeux potes dans « on a marché sur la lune » , celle d’un palais du sommeil ou le temps s’est figé juste comme ca , pour voir .
Comme 3 ans plus tôt , je marchais sur la pointe des pieds , sélectionnant minutieusement les lattes de plancher grinçant le moins , exercice que je constatais beaucoup plus facile à faire sobre comme à l’instant présent , plutôt que légèrement éméché , vers 3h du matin les années précédentes .
Cet exercice périlleux allait me prendre tout de même 2 minutes pour faire 3 mètres , tout en ayant doucement refermé la porte d’entrée , une abomination sans nom grinçant sur le dernier millimètre de fermeture , inexorablement .
J’ouvrais enfin doucement la porte de ma chambre .
Le noir total baigne la pièce . J’en connais le moindre recoin , cette chambre que j’ai aimé et honnis à la fois , ou j’ai aimé , pleuré , rêvé , gaffé , bref , ou le Nico a poussé , sans doute dans un confort trop cotonneux pour que je puisse un jour appréhender réellement ce qu’est la vie en dehors du cocon familial .
J’ai essayé de reproduire cette chambre dans mes nouveaux appartements .
Vainement .
… Quelqu’un respire . Je ne le vois pas : je sais qu’il est la . Dans ce qui était mon lit , un intrus à oser y prendre place , et me remplace , moi , occupe mon rôle d’éternel dormeur , sitôt que j’ai le dos tourné et que je tente de faire face à ma vie et au monde extérieur .
C’est insupportable .
Mesquin , je songe à réveiller ce qui doit être un ami de ma sœur , décidé à lui montrer qu’il est chez moi , que personne ne me remplacera jamais , que j’ai beau payer des factures Edf , j’en reste pas moins l’éternel adolescent qui vit dans cet espace , présent ou pas , peu importe .
Je fais craquer une latte de plancher . Intentionnellement , évidemment .
« Nico ? C’est toi ? »
Horreur . L’inconnu . Celui qui me remplace . Celui qui me réveillait . Celui qui s’indignait de mes siestes à rallonge (2h de l’après midi , indécent c’était , selon lui) . Celui que , chaque fois que je l’observe à la dérobée , me renvoie par notre troublante ressemblance le reflet de ce que je serais dans 30 ans , au moins physiquement .
Mon père .
(…)
J’ai mis plusieurs mois à me remettre de cet étrange scène ou , dans un concours de circonstance matinal , le fils allait se retrouver dans le rôle du père , ce dernier réduit au rôle du Petit Nico que je fus et qui s’éveillait en sursaut comme s’il s’excusait d’avoir dormi , il y’a de cela 3 ans , déjà .
Et tout a commencé sur le quai d’une gare …