J’ouvre un œil.
Du soleil à travers la fenêtre. Je suis dans un grand lit, moelleux au possible, et la boule de cheveux en bataille de la brune laisse échapper un ronflement silencieux mignon et rassurant.
Tel Jack émergeant d’une cuite pour se retrouver dans une ile tropicale qui abrite des ours polaires (tu t’es vu quand tu as bu dans un avion ?), j’essaye de connecter 3 neurones entre eux pour analyser vaguement la situation.
Trente minutes plus tard (les neurones se font rares par les temps qui courent), j’en suis arrivé à ce constat implacable : putain les aminches, je l’ai fait. Je suis bel et bien à Montréal.
(…)
2 jours plus tôt.
Bon, disons samedi, pour aider le lecteur qui n’a pas son calendrier des PTT sous la main.
A 14h, je ronge mes ongles puis mes doigts calmement, en dévisageant ma montre comme si elle était responsable du fait que mon appartement soit toujours plein moins de 24h avant mon passage au Canada, alors qu’en fait, les Toulousains ont une compréhension très particulière d’une phrase du type « par contre, ça m’arrangerait que tu viennes chercher le meuble que tu as réservé avant 11h du mat ».
Pour les non-initiés, une phrase de ce type se lit en Toulousain « C’est chouette, il m’a dit que à 18h, ce serait parfait ».
Je compte facturer mon très probable futur ulcère à la mairie de Toulouse.
En Occitan, si ça peut aider.
Mes darons, qui tentent avec beaucoup de conviction de masquer leur anxiété à H-24 de mon lancement (mais très vainement, il faut bien le dire), passent leurs nerfs à m’aider à descendre meubles et à frotter les murs avec une éponge.
Depuis, notre appart du 6 Place Lafourcade n’est plus un T2 mais un très beau Loft.
Avis aux amateurs.
C’est assez marrant de voir les meubles déposés sur le trottoir (avis aux municipaux, tout ceci n’est que pure fiction évidemment – note de prudence de passage) partir à toute vitesse, des gens se ruant dessus comme si une mine d’or avait été signalée à la cantonade.
Bon dieu, j’avais une mine d’or dans mon appartement. J’en étais sur, damned.
Mathilde, une très chouette amie également venue en renfort, prend la direction des opérations, et non contente de suppléer mes 4 derniers neurones (eh oui, y’en a un qui est mort depuis. RIP) valides, m’empêche très efficacement d’excéller dans mon art de la Nicolade (« Oui allo ? Ah bien sur, je peux être au Danu et place de la Trinité et place Esquirol dans 10 minutes ! ») en me faisant rappeler mes victimes pour les informer de la réalité des choses.
A savoir que même en doublant la vitesse de frottage et en inventant une éponge à rotation thermonucléaire, j’en avais pour au moins 2h de plus pour songer à pourquoi pas me rendre potentiellement disponible.
2h30 plus tard, je suis enfin place des Carmes à beugler pour que quinze andouilles en blanc tatanent avec un peu plus de conviction la gueule de quinze crétins en bleu, pendant que Carole est allée s’assurer que nous n’avions pas irrémédiablement perdu l’amitié de nos amis qui nous attendaient au Danu.
Depuis 2h30, donc.
Mathilde, t’es pas encore totalement parfaite comme Coach.
A minuit, après un dernier verre avec mes amis, et un discours à faire pâlir d’envie William Wallace (« Ils peuvent prendre votre liberté, mais moi j’m’en fous j’serais à l’abri ! »), c’est un retour un peu tristounet jusqu’au 6 Place Lafourcade, avec des haltes régulières pour dire au revoir à ceux des potes qui prennent des directions différentes.
Putain, c’est vachement imagé comme allégorie.
Ok, tout ce post est merdique mais avouez que merde, ce paragraphe vaut bien le Goncourt. Ou du Houellebecq. Enfin, c’est la même chose, vous m’avez compris.
Bon, bref, on se retrouve chez nous, et après avoir frotté un peu plus tous les recoins de l’appartement, je m’endort royalement à 4h30 du mat sur le matelas qu’il me reste pour dormir.
Bon ok, comme pendant les 4 années précédentes à l’exception des 3 mois où nous avons dormi sur un lit Ikea qui a vite fini à la déchetterie vu ses airs de World Trade Center post Ben Laden.
Et vice-versa, tiens.
(…)
5h30 du mat.
Oui, une heure après bordel de merde, et vous comprendrez que vous voyez passer des photos de moi en mode zombie sur Facebook.
Je hante l’appartement, à la recherche des dernières pouilleries qui inonderont le trottoir de chez moi, à savoir la vieille télévision que m’avait vendu Alexandra il y’a 6 ans de cela (et qui bizarrement, n’a pas trouvé d’acquéreur quand j’ai tenté de la revendre au même prix que achetée 6 ans auparavant) et une table au moins aussi bancale que la future défense d’un ex présidentiable futur taulard de luxe aux USA.
La présomption d’innocence vaut bien la présomption de culpabilité, bordel de nouilles.
Après avoir descendu les 2 choses à la sueur de mon front et d’avoir fait un tabac torse nu place Lafourcade auprès des débris humains qui quelques heures plus tôt devaient êtres de fringuants adolescents dans la bêtise de l’âge, j’empoignais caisses de matoux (oui, moi quand j’émigre, c’est forcément avec 2 chats sous les bras) et Brune sous le bras, et c’est à bord de la rutilante voiture de mon Daron (rutilante, parce que après 2 passages par le garage en moins d’un mois, forcément que le garagiste a envie de faire un geste en faisant briller la voiture. Après la facture, aussi) que nous prenions la direction de Blagnac.
A l’aéroport, c’était un peu comme dans le Petit Nicolas en vacances, quand il part en colonie et que ses parents ont une saloperie de poussière qui se met dans leurs yeux toutes les 30 secondes.
Sacrément poussiéreux, l’aéroport de Toulouse-Blagnac.
En plus d’être une saloperie gigantesque mal foutue et totalement disproportionnée, ca fait beaucoup.
Oui, j’allais pas partir sans dire une nouvelle fois le fond de ma pensée pour ce cloaque sans nom qu’est devenu Blagnac.
8h d’avion plus tard, nous débarquions à Montréal-Trudeau aéroport, ou contrairement à la France, on accueille pas les émigrants avec des CRS surarmés aux mines patibulaires mais avec des bienvenue et des grands sourires.
La preuve, c’est avec un grand sourire que la Douanière nous a dit que ne pas déclarer du foie gras, c’est 1200$ d’amende.
Bon, ben va falloir se mettre à la poutine, alors.
Tabernacle, comme on dit dans le buchonois d'ici, tiens.