Forcément, il n'y a pas que des désavantages a porter la marque de l'infamie sur sa carte d'identité.
Et pourtant, chaque fois que je lisais dessus « né à Paris 15ème », j'hésitais lourdement à aller traiter un sumo de maigrelet, histoire de refermer douloureusement le chapitre de mon inconséquence existence.
Prévert, t'étais qu'un niais surfait.
Ainsi, j'ai acquis, par ma naissance dans un arrondissement pas forcément aussi bourge que Neuilly mais ils font des efforts pour combler leur retard, cet incroyable don qu'ont les parisiens pour s'adapter sans le moindre effort à tout retour dans leur ville natale.
Autrement dit, dès que je débarque de l'avion, comme par exemple lundi dernier aux joyeux alentours de 23h, je fais une tronche à faire peur à un inspecteur des impôts confirmé, les yeux mauvais, la démarche impérieuse et pressée d'un anorexique à qui l'on aurait proposé de reprendre un peu de graisse de magret de canard, pour la route.
Je pense que j'ai bien dépeint la mine d'un Parisien dans son habitat naturel.
... Et qu'il me sera difficile de trouver un ami pour me loger la prochaine fois que je descendrais dans le Grand Nord.
Oui, chez nous dans le Sud, on dit redescendre, ça illustre bien le coté « je pars pour le Pôle Sud » que constitue toute odyssée à Paris ...
Bref, après avoir piétiné sauvagement les quelques crétins qui avaient le malheur de se trouver du coté gauche du tapis roulant rapide qui permet aux passagers d'Easyjet d'oublier qu'ils n'ont pas atterri exactement sur Orly, mais plutôt et plus surement du côté de Brest -au vu de l'isolement du terminal réservé à cette société-, je recherche activement le Orlyval, un espèce de métro infâme que l'on paye un demi-bras pour parcourir les 3 malheureux kilomètres séparant l'aéroport de la ligne B du RER, une infamie roulante encore plus glauque qu'un plat mijoté servi à un candidat de Fear Factor.
J'ai même vu des types rebrousser chemin vers Orly une fois qu'ils avaient vu l'horreur que constitue la gare d'Antony, c'est dire.
Après avoir parcouru la moitié de l'aéroport à la recherche de ce foutu Orlyval, j'arrivais enfin à le dénicher avant d'avoir commencé à être trop violent envers le personnel des aéroports de Paris.
Enfin, heureusement tout de même que le dernier que j'avais croisé était maintenant trop amoché pour que je lui fasse part de mon amertume de devoir banquer 10 euros pour son foutu métro pourri qui amène même pas à Paris, d'abord.
« Paiement refusé », suivi d'un bip si strident que j'ai vu un chien qui passait à proximité tomber raide mort lorsque l'ultrason allait lui broyer la moitié de ce qui lui sert de cerv... crane.
Une petite goutte de transpiration coule sur mon front.
Suivie immédiatement d'un demi jerrycan de transpiration qui m'inonde les yeux (ca pique en plus cette horreur là !) et me noie à moitié, en exagérant à peine, bien évidemment.
3933, vite.
« Oui allo de quoi avez vous besoin pour m'identifier ?
- Juste votre nom et votre prénom ...
- Poi-rier Nicolas
- Comment, vous dites ? »
Petite parenthèse.
Le prochain qui ne comprend pas mon nom, dès le premier jet, je l'empale à la cloche du capitole avec une pancarte autour du cou « N'est pas capable d'entendre sans difficulté le nom de plus commun et facile orthophoniquement parlant de France ».
« Poi-rier, comme l'arbre »
Non, parce qu'il y'en a tout de même un peu ras le cul de devoir expliquer mon nom de cette manière.
Surtout quand j'entends l'autre murmurer, en même temps qu'il tape sur son clavier : « P...O...I...R...I...E...T ».
Pourquoi pas Poulet, ducon ?
« Bien, que puis-je pour votre service monsieur ?
- Eh bien il se trouve que je viens de débarquer à Orly, que j'ai voulu acheter un ticket de ce racket organisé que l'on nomme Orlyval, et qu'il m'a été affiché à l'écran de façon fort peu courtoise « Paiement refusé ». Alors, j'aimerais savoir si la nouvelle politique de votre banque consiste à éviter à ses clients des achats qu'elle juge à raison inutilement ruineux, ou y'a t-il un problème ?
- Ah, euh, attendez, je cherche sur votre compte ... »
3 très longues minutes à penser inexplicablement à une partouze de pouces en écoutant une petite musique insupportable passent.
« ... Votre nom, vous m'avez dit que vous l'écriviez comment ? »
3 minutes supplémentaires passent.
J'en profite pour achever l'employé d'Orly sur lequel j'avais déjà passé mes nerfs, tiens.
« Bien, monsieur Poooirriais (il veut la mort, lui aussi, ou quoi ?), il semblerait que vous soyez à découvert de 880 euros ... »
Glubs.
Je retourne mes poches, et réunis péniblement en pièces dépassant rarement les 13 centimes (sic) une somme avoisinant les 3 euros.
Je repense à ces daubes imprimées que l'on nomme généreusement « journaux » et que je me suis acheté à Toulouse Blagnac, et qui m'ont autant appris d'infos que ma dernière cousine lors de notre avant-dernière entrevue.
... Gazou-Gazou, avouez que c'était tout de même pas vachement pertinent.
« Ah, euh, oui, j'ai vu cela avec ma banquière, une somme d'argent devait passer ce matin sur mon compte, elle m'a même dit que la somme avait été décaissée . »
Et le drame, c'est que c'est la première fois en 10 ans de découverts que ce mensonge de circonstances n'en était pas un.
« Ah, oui, c'est exact Monsieur Poitiers (Tiens, ils le prennent vachement résistant, le salarié, à Orly ! J'aurais juré qu'il vient de bouger un peu ?), je vois la somme inscrite en prévision sur votre compte.
- Bon, donc vous pouvez provisoirement monter mon droit au découvert pour ce soir, que je puisse enfin sortir de cette sinistre aérogare ?
- Euh, non. »
Tout de même, faudrait que je songe à arrêter de taper sur un mec au sol, on est jamais à l'abri d'une poursuite pour crime contre l'humanité, quoi.
« Non ?
- En fait, nous n'avons aucun pouvoir de décision. Donc je peux vous informer que vous êtes à découvert, que votre crédit a été accepté (zut, le mot est lâché !), mais en revanche, je ne peux rien faire de plus que vous dire que tout sera réglé dans 24 heures ».
Et là, d'un coup, je comprends tout le désarroi de Bill Muray dans « Un jour sans fin ».
(...)
J'en ai été quitte pour minauder honteusement et faire ma petite voix de quand mon père m'envoyait, quand j'avais 10 ans, négocier un bibelot dans un vide grenier improbable, lorsque arrivé en resquilleur à Antony, j'étais tombé nez à nez avec un vigile aux allures de Terminator, version boucher.
C'est fou comme la féroce crédibilité d'un juriste peut voler d'un coup.
Suffit que ses poches contiennent 3 malheureux euros et une carte bleue fumante et bloquée, en fait.