Il y'a du monde , ce samedi soir au J-Go .
Et pas qu'à l'intérieur . Depuis l'interdiction de fumer dans les bars , le meilleur moyen de savoir si un coin à du succès , c'est de repérer la quantité de mégots amoncellés devant ses vitres : s'il y'a en plus beaucoup de pingouins dehors , pas de doute : l'endroit est à la mode .
... donc j'ai forcément envie de fuir de là , mais brune a accepté que je la rejoigne alors je ne vais pas faire d'histoire sur son choix de sortie .
Terriblement contestable , mais son choix de sortie .
Nous rentrons dans le bar . Je me souviens des passages d'American Psycho évoquant les bars New-Yorkais , leur ambiance pseudo branchée et leur public à col blancs aux sourires de circonstance qui raisonnent lamentablement faux : tout y est .
Je m'imagine demandant à Pat Bateman de me prendre en stage .
L'idée d'être affublé du sobriquet de Robin m'en décourage .
Ce qui est agacant dans un bar bondé , c'est qu'il est étonnamment toujours bondé de personnes qui aiment faire les malins avec leur taille nécessairement supérieure à la mienne . C'est bien simple , j'ai toujours l'impression qu'une rafle a embarqué peu avant mon arrivée tous les mecs de moins d'un mètre 73,555 , cela uniquement pour me pousser à déprimer sur le fait qu'on m'avait promis que je ferais la taille de mon grand père (un géant) , et que cela n'a pas été le cas .
Faut dire qu'entretemps , on s'est rendu compte que mon grand père n'était pas mon grand père .
Et que le vrai faisait 1m70 . Rah .
Brune et Caroline veulent du vin . En bon gentleman , je décide d'offrir une bouteille (et me rappelle alors que mon découvert est proche de la masse de vent qui circule sous le viaduc de Millau) d'empocher leurs billets de 10 euros et je me risque à braver la foule de géants verts à cravate pour atteindre le bar .
Mais bon dieu , pourquoi mon grand-père de 2 mètres n'était-il pas mon grand père ?
2 greluches assises inconfortablement m'empechent d'êtres en première ligne pour commander , et au vu des regards de chiens affamés d'autres clients le long du bar , il va me falloir être impitoyable si je ne veux pas avoir à attendre la saint glin-glin avant de voir l'ombre d'un serveur . Je fais alors comme toute personne en pareille posture :
je prends un air sévère vaguement snob et je tripote nerveusement mon portefeuille , pensant faire passer le message subliminal au serveur « j'ai du fric , sers moi en premier » .
Mon banquier a du faire ma pub dans toute la ville : j'ai attendu 25 minutes .
Le benet de 1m90 , qui patientait 5km derrière moi a même été servi entre temps . Merde , quoi !
Je vais quand même réfléchir pour le stage de Robin .
« Une bouteille de blanc , s'il vous plait ... »
Il me toise ; l'espace d'un instant , je le sens prêt , au vu de ses yeux goguenards , à me répondre « oui mon bonhomme » . Je cherche des yeux un objet suffisamment tranchant pour égorger ce goret , au cas où il oserait .
Il s'abstient .
« une bouteille de blanc ? Oui , mais laquelle ?
- je sais pas , du fruité ? »
... Je passe les 30 minutes qui suivent à me ressasser cette scène , tout en me répétant à voix basse les yeux hagards « 30 euros une bouteille de vin ... 30 euros une bouteille de vin ... 30 euros une bouteille de vin ... »
Faut dire ce qui est : ca choque .
Les nerfs plus à vif qu'une souris de laboratoire , je tente de prendre la direction de la sortie , bousculant des individus illustrant avec bonheur l'expression pilier de comptoir , me prenant des regards haineux chaque fois que j'ai du trop jouer des coudes , et des regards goguenards lorsque je me rends compte que la porte vers laquelle je me dirigeais est scellée .
Je songe au suicide lorsqu'une fois en dehors du bar , je me rends compte que j'ai oublié mes cigarettes .
« Excusez moi , je vais défenestrer quelqu'un si je dois retraverser tout le bar pour récupérer mes cigarettes que j'ai oublié , pourriez vous m'éviter la taule ? »
Le type me lache une cloppe .
Je passerais peut-etre pour un fou ce soir , mais j'aurais au moins trouvé un nouveau truc pour les soirs de dèche de nicotine .
Faut bien dire que le truc de « j'ai oublié de me racheter des cloppes , par pitié pourriez vous m'en vendre une ? Je vous la paye ... » commencait à être éculé dans mon quartier .
Je retrouve ma brune dans le bar , non sans m'être à nouveau senti comme une voiture dans le compresseur d'un férrailleur . Je hais tous ces types autour qui parlent fort et sortent des inepties d'une effroyable banalité qu'un simple Cm1 récuserait d'un haussement d'épaules dédaigneux .
J'ai envie de fuir de là , loin , tellement loin ...
Caroline part à son tour fumer une cigarette .
Je me retrouve seul contre ma brune .
Nous nous embrassons dans le plus doux , suave , sensuel , calin , sexuel , adorable , mignon des bisous , durant des secondes qui semblent êtres infinies .
... Je me prends 4 regards noirs de mecs en costards autour de nous quand je rouvre les yeux .
Elle est quand même sacrément sympa ma vie , tiens .