Lorsque j'étais petit, et le premier qui fait une remarque sur l'emploi de l'imparfait signe pour un aller simple vers le fourneau de Landru, mon daron jugeait utile de ne pas m'exposer aux scènes qu'il pouvait juger un peu « osées » qui parsemaient ça et là certains programmes du PAF.
Autant vous dire que alors que j'avais encore 16 ans, mon père sautait toujours sur la télécommande comme un forcené héroïnomane et drogué au Red-Bull pour zapper la scène où des singes s'emboitent allègrement à la fin du père noël est une ordure.
Dès lors et pour me faire moi même une éducation sexuelle digne de ce nom, c'est à dire autre que cette fois où une classe entière de 4ème avait pu me voir rougir comme un tampon en période de règles douloureuses parce que la prof de SVT avait mis une cassette vidéo probablement réalisée à la fin des années soixante d... tout court, il a bien fallu que je fasse avec les éléments du bord.
C'est à dire pas grand chose, tout compte fait.
Très rapidement, j'allais finalement comprendre qu'il y'avait probablement quelque chose à voir dans les séquences que mon père zappait la transpiration d'un éléphant en rut au front, et j'allais scrupuleusement noter dans un coin de ma tête le nom des cassettes vidéos sur lesquelles la touche avance rapide avait été utilisée sans modération.
... Ce qui allait m'amener à d'atroces déconvenues lorsque un jour, le sopalin a portée de main (sic), j'allais comprendre que mon père avait simplement zappé parce que les discours de Valery Giscard d'Estaing n'étaient plus sa tasse de thé.
J'ai probablement mis un an à m'en remettre.
Brrr.
(...)
Alors que les tabous tombaient les uns après les autres dès lors que j'écumais les différentes séquences trouvées sur les VHS aux noms les plus insoupçonnables (élections 93, fallait tout de même avoir un caractère particulièrement borné pour supposer -à raison- que s'y trouverait une séquence des contes érotiques de France 3 -des sombres daubes, ceci dit au passage), ne restait en moins de temps qu'il n'en faut à un puceau ne vivant pas à l'époque de l'ADSL qu'un seul Rubicond à franchir capable de me faire trembler comme une feuille.
Le premier qui rajoute de sopalin prend une claque sur le nez.
Ce rubicond, c'était Orange Mécanique.
Depuis mes 10 ans révolus, l'interdiction du daron était tombée, plus lourde qu'un kilo de plumes lesté d'un kilo de plomb (ce qui n'arrange rien) : Nico, tu as interdiction absolue de regarder Orange Mécanique, je te préviens c'est les pères sévères si tu passes outre cette interdiction et je rigole pas.
Les pères sévères, c'était le nom de l'internat religieux situé à Angoulême et fictif dont mon père me menaçait régulièrement jusqu'à ce que mes carnets s'améliorent grâce à la photocopieuse de mon quartier.
Cependant, vint le jour où alors qu'il était devenu une évidence absolue que la cassette du nom de la rose allait rendre l'âme dans le magnétoscope si je la passais une nouvelle fois, ma main fébrile et tremblante (quoi pléonasme ?) s'arrêta sur la cassette d'Orange Mécanique, planquée derrière 3 rangées de discours de Valery Giscard d'Estaing.
Contrairement aux apparences, mon padre n'est de droite que 2 semaines avant les élections.
Je regardais la cassette, le regard bien que fictif désapprobateur de mon père sur les épaules, hésitant lourdement un franchir le rubicond simplement parce que j'en avais marre d'être le niais de service dans ma classe de 3ème qui n'avait jamais vu une séquence de cul tournée à une date antérieure à l'année 1970.
... 1 seconde et demi après m'être fait cette réflexion, forcément que j'avais ouvert le boitier contenant la cassette, près à l'enfourner dans le magnéto, tiens.
Cela jusqu'à ce que mes yeux se posent sur le post-il qui trainait dessus.
« Nicolas (mon père ne m'appelle comme cela que quand j'ai laissé ouvert la portière de la voiture ouverte et que en faisant une marche arrière, il a retourné la dite portière), je te rappelle que je t'ai strictement interdit de regarder ce film ... »
(...)
J'ai vu Orange Mécanique pour la première fois à l'age de 21 ans.