Hier soir , 18h
« Donc nous sommes d'accord Nico ? Tu t'occupes bien d'acheter une plante pour Caro , nous n'arriverons pas les mains vides pour sa crémaillère ? » , s'enquit brune pour la 7ème fois en autant de minutes .
Brune a la regrettable habitude de se répéter autant qu'une chanson de Vanessa Paradis .
Ce qui est d'autant plus inutile que 30 secondes plus tard , l'information raisonne autant dans mon cerveau que les hurlements d'un bègue aphone dans une pièce capitonnée d'hôpital psychiatrique .
Ayant pris congé de ma brune partie visiter un appartement en compagnie d'une sienne amie ayant requis son assistance , des fois qu'elle ait des velléités suicidaires très prononcées au cas où le dit appartement se révélerait une énième fois au moins aussi charmant qu'une décharge publique à proximité de Tchernobyl , je prenais moi la direction de la place des Carmes , dans l'intention de prendre un apéro récompensant justement mes rudes efforts de la journée achevée .
... C'est vrai quoi , c'est crevant de bouquiner en bronzant sur le capot de sa voiture , paumé en pleine campagne ...
Parisiens , moi aussi je vous aime .
Je retrouvais donc Manon , la petite amie de Mathieu depuis 4 5 6 la fin de la guerre de cent ans merde je sais plus , étudiante en médecine de son état , zombie halluciné et hululant à fendre le coeur de Christine Boutin chaque fois que l'on parle de soirée .
C'est terrifiant à entendre , vous l'aurez compris .
Non Manon , pose ce scalpel ! Argh!Glup!crrrouick ...
(La suite de l'histoire est narrée à titre posthume , Nico n'ayant pas survécu à la main vengeresse du Zombie de la place des Carmes . Signé : Brune)
C'est ainsi que nous prenions un premier verre en terrasse , un soleil couchant nous dorant la pilule , un air chaud s'engouffrant dans nos chevelures folles et non je ne suis pas du tout dégarni sur le coté , un clochard aux airs de George Harrison dans sa période hippie (pléonasme , soit) me lâchant 2 litres de bave (authentique) sur la main tremblotante avec laquelle je tentais désespérément d'allumer la cigarette qu'il me collait au visage .
Je reviens , je suis pas encore sur de m'être assez lavé les mains .
Et je n'ai pas encore vomi mon estomac , mais cela ne tardera pas .
... Ou en étais-je ? Ah . Oui .
Après deux premiers verres en terrasse et Mat nous ayant rejoint , nous prenions la direction du London Town , dont l'Happy Hour est l'occasion de s'interroger légitimement sur ce que seraient les tarifs en non-période d'Happy Hour .
Et vous allez voir que l'on m'accusera encore d'être médisant , tiens .
Alors que je sortais du bar pour fumer une cigarette , je reconnaissais à l'extérieur mon ancien voisin de mon actuelle adresse , et je faisais alors ce que toute personne fait lorsqu'elle rencontre quelqu'un avec qui elle n'a jamais parlé lorsqu'elle avait au moins quelque chose de banal commun , comme par exemple habiter le même immeuble : j'ai sorti une effroyable banalité sans intérêt .
« Tiens salut ! Alors , vous êtes partis sans prévenir , on a même pas eu le temps de vous dire au revoir ... »
Non mais franchement .
C'est vrai que lorsque l'on quitte un immeuble , on fait tous les paliers pour dire « salut , je quitte l'immeuble , je suis ravi de pas t'avoir connu ... »
Quoique visiblement décontenancé par l'abominable platitude intellectuelle de ma délirante réplique sans nom , il me répond , un sourire jaune au coin de la lèvre (merde , où ais je foutu mon « l'anatomie pour les nuls » ?) :
« Oui , j'ai quitté vite l'appartement et la fille avec qui j'étais »
... je vous jure que durant les 4 secondes qui suivirent , j'ai cru entendre un corbeau .
Si si , j'vous jure .
« Ah euh désolé » , réponds piteusement le Nico , réponse d'autant plus grotesque qu'il n'y a que peu de cohérence à s'excuser de quelque chose dont on est pas responsable mais il m'arrive de m'excuser auprès de ma cuillère quand je la fais tomber , alors bon , question cohérence ...
A l'intérieur du bar , la cloche de la fin de l'happy hour raisonne . L'ex voisin rompt le silence en souriant plus franchement , et rigole en lâchant « bah , c'est l'immeuble qui est maudit , sans doute ... »
Mat sors la tête par la porte entrouverte du bar , le téléphone portable à la main .
« Nico , y'a t'a moitié qui semble avoir quelque chose à te dire ... »
C'était une manière de présenter la chose .
A l'attention de ceux qui s'étonneraient de ma surdité ces prochains jours , qu'ils ne m'en veuillent pas , mes tympans n'ont pas survécu au « quelque chose à te dire » de ma brune ...
« Nico , tu fais chier ! Mat m'a dit que tu n'avais pas acheté les fleurs , tu comptes le faire quand ? Je t'ai passé les sous en plus ! »
Je jette un regard angoissé sur ma montre . 20H .
(tout ce qui suit est à imaginer avec en fond sonore la musique de Benny Hill)
Je détale tel un lapin poursuivi par le syndicat des chasseurs bourrés (ok , encore pléonasme) , à la recherche d'un magasin de fleurs encore ouvert . Celui où je pensais aller s'avère n'être qu'un salon de coiffure , je me demande l'espace d'un quart de seconde comment j'ai pu confondre les deux , le temps en fait d'avoir pivoté sur un petit saut carpé , puis je refonce dans la direction opposée .
Tout cela est à lire très vite , vous l'aurez compris .
J'arrive à Montceau fleurs , boutique traditionnellement ouverte très tard .
Et comme traditionnellement cela se produit en pareille situation , la boutique est -lorsque j'y arrive transpirant comme un chameau- aussi obscure que les intentions de la BNP vis à vis de la société générale .
... Putain de corbeau , tu vas te taire ?
Je rejoins Mat qui finit d'acheter des bouteilles , et qui devient aussi blanc que de la Smirnoff lorsqu'il me voit sans fleurs dans les mains .
« Nico , t'es foutu » , lâche t-il tristement avec son (très) célèbre sens de la nuance .
Loin de moi l'idée de vouloir paniquer , mais je commence effectivement à me sentir aussi à l'aise qu'un homard dans un bain-marie . Je sombre dans le n'importe quoi même , par exemple lorsque je demande au gérant du petit casino du coin « s'il n'aurait pas la plus débile des fleurs à vendre , par pitié ? » .
Entre deux crises de fou rire , ce dernier arrive tout de même à placer 3 mots cohérents pour me faire comprendre qu'il y'a peut-être encore une chance avec le fleuriste de la rue Pharaon .
J'y fonce dare-dare .
Tiens , le corbeau semble avoir été rejoint par deux autres ?
La commerçante est en train de fermer le rideau de fer de son magasin , ce qui n'augure pas forcément rien de très bon quand à mon affaire , quoique je commence à sentir vaguement le roussi (en sus de la transpiration de mammouth , évidemment) .
« Bonsoir , j'ai promis une dizaine de fois à ma petite amie que je m'occuperais d'acheter des fleurs pour une crémaillère , et je n'en ai rien fait ... pourriez vous m'éviter la décapitation , je paierais le double par pitié s'il vous plait ? »
... L'orchidée au prix d'un Mont-Blanc , je m'en souviendrais , tiens .
C'est sur : un de ces jours , je serais aussi célèbre que la vieille qui crie dans la rue « dieu est bon et va tous vous punir » ...
Nota Bene :
Parce que je ne suis jamais avare de conneries , laissez moi vous remettre à l'esprit l'excellente vidéo ci-dessous ... toute ressemblance avec des Nico , Ben et Mat dans une voiture serait incroyablement paradoxale .
http://youtu.be/SpwK3vFGJp0